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ALBERTO & DIEGO GIACOMETTI

Célébré parmi les artistes les plus importants du XXe siècle, Alberto Giacometti (1901-1966), peintre et sculpteur d’origine suisse, marqua irréversiblement le monde de l’art par ses recherches plastiques axées sur la condition humaine, la place et l’image de l’homme dans un monde (ancien et révolu) en pleine déconstruction – dont découlent ses sculptures filiformes si caractéristiques. En véritable artiste pluridisciplinaire, son œuvre connut de nombreuses évolutions ; il expérimenta au sein de différents mouvements artistiques, comme le cubisme ou le surréalisme, et s’essaya, en parallèle de la sculpture, à la création d’objets décoratifs, fruits de sa légendaire collaboration avec le décorateur parisien Jean-Michel Frank (1895-1941). Le travail de Giacometti dans le domaine des arts décoratifs est indissociable de cette alliance fructueuse établie entre 1930 et 1939 dont sont issues certaines de ses créations les plus célèbres et les plus prisées par les collectionneurs. Arrivé à Paris en janvier 1922 pour suivre l’enseignement d’Antoine Bourdelle (1861- 1929), Alberto Giacometti, encore inconnu, exposa ses premières œuvres dans quelques salons de l’époque, ainsi qu’à la Galerie Jeanne Bucher (1872-1946) en 1929. Le succès de cette exposition marquera un tournant décisif dans la carrière du jeune sculpteur qui, rencontrant alors les personnalités les plus importantes du milieu artistique parisien, sortira à tout jamais de son anonymat. Par l’intermédiaire du peintre André Masson (1896- 1987), il obtint sa première commande auprès du banquier Pierre David-Weill, pour lequel il créa ses premiers objets décoratifs. Mais, cet évènement permit avant tout la rencontre déterminante entre Alberto Giacometti et Jean-Michel Frank ; possiblement par l’entremise de Man Ray (1890-1976) ou des Noailles, qui avaient fait l’acquisition de l’une des deux œuvres présentées chez Jeanne Bucher (1). Ainsi s’inaugura une période de collaboration – et d’amitié – unique entre les deux créateurs, débutée vers 1930, lorsque Jean-Michel Frank devint directeur artistique de Chanaux & Cie. Réputé pour ses intérieurs traités comme un manifeste, caractérisés par leur aspect luxueux mais épuré, Frank fit régulièrement appel aux artistes pour la création de mobilier et d’objets d’art, à l’instar de Christian Bérard (1902-1949) ou Salvador Dalí (1904-1989). Mais, Alberto Giacometti fut, parmi les artistes « partenaires », celui qui amplifia et compléta le mieux l’esthétique de Frank – cet « étrange luxe du rien » – à tel point que chacune des réalisations du décorateur présentait presque par automatisme l’une de ses créations. Giacometti créa alors de nombreux objets dits « utilitaires » pour Frank, parmi lesquels les luminaires occupent une place très importante. Inspiré par les arts anciens, il imagina des objets aux formes évocatrices des civilisations passées, toutefois traitées à l’épure, la Lampe Égyptienne et le Vase Lotus en sont les plus parfaites illustrations. Approchant ses créations tel un sculpteur, il utilisa sans surprise des matériaux comme le plâtre, la terre cuite et le bronze pour leur donner vie. L’aspect irrégulier de leur modelé témoigne de cette proximité, laquelle crédite les œuvres « décoratives » de l’artiste comme des créations d’art majeur – pour Alberto Giacometti il n’y avait pas de différence entre ce qu’il appelait une sculpture et ce qui était un objet (2). ​ Ainsi, bien que la création dans le domaine des arts appliqués lui permît de gagner sa vie à un moment essentiel dans son parcours de sculpteur, le créateur s’impliqua totalement dans sa collaboration avec le décorateur – ce qui lui valut d’ailleurs d’être rejeté par André Breton (1896-1966) au moment où il expérimentait avec le groupe des surréalistes. Les images de ses créations furent diffusées à travers le monde par le biais des photographies de presse, de mode et connurent un grand succès. Néanmoins, cette production avant-gardiste fut brutalement arrêtée en 1939 par les évènements de la Seconde Guerre mondiale, auxquels s’ajouta la disparition inattendue de Jean-Michel Frank deux années plus tard. Celle-ci reprendra cependant dès 1945, avec seulement quelques modèles, grâce à Diego Giacometti (1902-1985) qui avait réussi à sauver les moules des objets imaginés pour Frank et par l’intermédiaire de Jacques Adnet (1900-1984) & la Compagnie des Arts Français durant plusieurs années, puis elle sera reprise par Diego lui-même et prendra définitivement fin lors de sa disparition. Jean Henson, lié par une profonde amitié à Jean-Michel Frank, et son épouse Violet furent très sensibles à l’art du décorateur et aux créations d’Alberto Giacometti, de Salvador Dalí ou encore de Christian Bérard. Plus encore, leur univers et leur style de vie cosmopolite étaient en parfaite adéquation avec le parfum et l’esprit qui émanaient des créations de tous ces artistes ; ils furent de ceux, les pionniers, peu nombreux, qui purent vivre entourés de ces œuvres au moment même où elles virent le jour dans les années 1930. (1) Angela Schneider (et all.) – Alberto Giacometti : Sculpture – Paintings – Drawings – Éditions Prestel, Munich/New York, 1994, p. 15-16. (2) Pierre-Emmanuel Martin-Vivier – Jean-Michel Frank : l’étrange luxe du rien – Éditions Norma, Paris, 2006, p. 343. Voir citaion Alberto Giacometti.

Alberto GIACOMETTI Oiseau Albatros collection jean violet henson le modèle conçu vers 1937 sculpture plaster plâtre jean-michel frank emmanuel eyraud expert

Diego Giacometti (1902-1985), sculpteur d’origine suisse, est reconnu pour son œuvre singulière, inspirée de la nature, ponctuée d’un bestiaire d'animaux stylisés ayant contribué à définir sa vision unique de la création artistique. Frère cadet d’Alberto Giacometti, il dévoua dans un premier temps son travail à l’œuvre de son frère, avant de développer son propre langage sculpté, marqué par la sensibilité et la simplicité – dont les animaux s’érigent en protagonistes essentiels. Le recours au registre animalier chez Diego Giacometti semble puiser ses racines dans son enfance, durant laquelle il avait attentivement observé la nature et les animaux peuplant les paysages de forêt et de montagne de son village de Borgonovo, en Suisse. À l’heure du développement de ses œuvres personnelles, il se tourna très vite vers eux pour « habiller » ses créations, comme il s’amusait à le décrire, convoquant alors ses plus tendres souvenirs (1). Son amour pour la nature et la naïveté de son regard sur le monde animal et végétal, qu’il gardera tout au long de sa vie, se traduisent par la simplicité de son modelé. Loin d’un réalisme strict, ses figures fines et délicates, qui conservent la marque de ses doigts, adoptent une ligne épurée mais non moins subtile, tant elles nous évoquent, par leur dynamisme et leur texture, l’image d’animaux nous étant plus ou moins familiers – dans toute leur vitalité. Les animaux de Diego ne sont pas de simples motifs décoratifs ; ils insufflent de la vie à ses objets, d’abord conçus pour être fonctionnels. L’artiste créait en effet ses petites sculptures d’animaux de manière isolée, avant de les ajouter aux structures sobres de son mobilier, les installant sur leurs extrémités ou leurs traverses (2). Ses créations se transformèrent peu à peu en de véritables meubles-sculptures, animés par ces créatures symboliques devenues emblématiques de son œuvre (3). Diego Giacometti constitua un véritable répertoire animalier, au sein duquel oiseaux, chiens et chats sont les acteurs privilégiés. Il capture l’essence même des animaux, de leurs instincts et comportements, pour les intégrer dans son imaginaire singulier. En grand enfant, il détourne régulièrement ses figures avec une touche d’humour. Ses chiens se comportent donc comme des chiens et, tandis que l’un arrose un arbre, l’autre le flaire (4). Et le renard, malicieux et rusé, épie déjà la biche qui se cache de l’autre côté de l’arbre qui les sépare ; même si le canidé ne parvient pas à réellement à effrayer les spectateurs que nous sommes de la scène, tant il semble chargé de la naïveté que l’artiste lui a transmise. Avec Diego Giacometti, chaque animal transcende sa simple représentation pour devenir une allégorie de la liberté et du rêve. Aussi, par l’intégration de ces créatures dans des objets du quotidien, il fait basculer ses créations dans une dimension onirique, où chaque pièce se charge de poésie et d’un charme intemporel. (1) Jean Leymarie in Daniel Marchessau – Diego Giacometti – Éditions Hermann, Paris, 1987, p. 19. (2) Ibid. (3) Christian Boutonnet, Rafael Ortiz & James Lord – Diego Giacometti – Éditions de l’Amateur/Galerie de l’Arc en Seine, Paris, 2003, p. 94. (4) Ibid., p. 95

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