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LINE VAUTRIN

Figure majeure des arts décoratifs français du vingtième siècle, Line Vautrin (1913-1997) créa des objets de décoration et des bijoux d’une grande diversité, de nos jours très prisés par les collectionneurs. Acquérant un certain savoir-faire auprès de son père, bronzier d’art, puis participant à l’Exposition Universelle de Paris en 1937, elle commercialisa très tôt ses œuvres, notamment ses bronzes dorés, qui lui valurent un grand succès. Mais très vite, ses créations espiègles laissèrent la place à l’exploration d’une nouvelle matière et de nouveaux objets, parmi lesquels figurent ses célèbres miroirs. Au cours des années 1950, Line Vautrin travailla en effet une matière dont elle déposa le brevet et qu’elle baptisa Oforge, puis Talosel, en référence à son nom scientifique ; l’acétate de cellulose élaboré. Ce matériau, composé de plusieurs couches de résines superposées, collées avec de l’acétone et ensuite modelées grâce au feu, servit alors de support à l’imagination de l’artiste. Elle s’amusa ainsi, dans un processus de création proche de la joaillerie, à incruster cette matière d’éclats de miroir ou de verre, donnant alors naissance aux miroirs ornés aujourd’hui indissociables de son travail. Il est vrai que Line Vautrin créa plus de 150 modèles de miroirs grâce aux possibilités que lui offrit le Talosel, et que ceux-ci forment une partie majeure de son corpus d’œuvres – fait qui pose la question intrinsèque de la relation entre ce matériau et la forme que lui donna l’artiste. L’intérêt marqué de Line Vautrin, artiste intuitive par excellence, pour les sciences occultes induit assurément une nouvelle lecture de son travail du talosel pour la création de miroirs. En effet, par l’action du feu qu’il nécessite, le procédé de transformation de ce matériau se révèle proche de la transmutation des matières premières en alchimie, connu sous le nom de ‘Grand Œuvre’. Or, selon l’artiste elle-même, le nom Oforge, qu’elle avait attribué au départ à cette matière, fait référence à la fois au Soleil, symbole de feu, incarné par le ‘O’, et à la forge, synonyme du travail par le feu (1) – ce qui ne peut être une coïncidence. De ce processus occulte naîtra alors le miroir, autre symbole alchimique puissant, dont le reflet évoque déjà un certain mysticisme. À la fonction décorative du miroir s’ajoutent effectivement d’autres significations. Le miroir, par ses reflets, figure l’illusion du réel, un jeu avec la vérité, et par le monde qu’il nous fait voir, il incarne aussi la porte d’entrée vers un autre monde, une réalité divergente. Aussi, utilisant presque qu’exclusivement des miroirs sorcières, Line Vautrin ne pouvait être étrangère à ces significations. Le miroir sorcière lui-même, par sa forme convexe, joue déjà avec le réel – en plus de posséder un nom qui convoque l’occultisme. Également appelé « œil de sorcière », il incarnait, par sa capacité à faire voir l’intégralité d’une pièce en une seule image, l’œil omniscient, qui voit tout. Plus encore, par sa réflexion de la lumière, il permettait la démultiplication des points de lumineux et donc la création de soleils artificiels. Il n’est dès lors pas anodin que de nombreux miroirs de Line Vautrin, comme ses Soleil à pointe, adoptent la forme caractéristique de cet astre aux significations alchimiques multiples. _____ (1) Patrick Mauriès – Line Vautrin, miroirs – Catalogue de l’exposition organisée à la Galerie Chastel-Maréchal, Paris (10 septembre – 10 octobre 2004), Éditions Galerie Chastel-Maréchal, Paris, 2004, p. 15.

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